Cela ne vous a sans doute pas échappé : une charte pour la "lutte contre la piraterie numérique" vient d'être adoptée par l'Etat, la Sacem, les représentants des auteurs et les FAI. Au programme : envoi de mails d'avertissement par les FAI à leurs abonnés, possibilité de déconnexion sur requête d'un juge (mais on peut s'en passer de manière préventive...), poursuites pénales. De quoi réprimer dans les plus brefs délais toute envie de télécharger un mp3 pour la plupart des internautes, et me faire réagir.
Sur le fond, tout d'abord. Le téléchargement de mp3 existe au moins depuis 5 ans. De manière confidentielle pour commencer, avant que cela ait, depuis un peu plus d'un an, un impact réel sur les ventes de disques, et donc les revenus des maisons de disques. Pourquoi attendre 5 ans pour réagir ? Comme l'ont très bien analysé plusieurs journalistes (et notamment l'excellent dossier de Libération du 24/01/2004), le mp3 est un format que les majors n'ont pas vu venir, et surtout, pour la première fois, ne maîtrisaient pas, à la différence du CD notamment (développé par Sony et Philips, alors propriétaire d'EMI). Les attaques étaient au début plutôt concentrées sur la copie de CD, qui devait paraît-il tuer la musique.
Lorsque le mp3 - et surtout l'échange de mp3 - a réellement commencé à se développer, en 2000-2001, les majors ont commencé à réfléchir à une offre payante, ce qui correspondait finalement au business model habituel sur Internet (d'abord gratuit, ensuite on passe à la caisse). Ces plate-formes ont fait un bide complet, principalement du fait de formules d'abonnement (s'abonner à la musique?) aux prix prohibitifs, et d'un catalogue limité aux artistes d'une seule maison de disques, Universal et Sony respectivement, si je me souviens bien. Pourtant, une offre payante bien conçue aurait très certainement pu "décoller" à ce moment-là. Je me rappelle, étudiant à l'époque, que payer pour trouver certains morceaux, ne m'aurait pas choqué, et qu'un système ergonomique et efficace (le iTunes d'aujourd'hui) aurait sans doute fait des adeptes, et enrayé dès le départ le piratage musical.
Dans le même temps, je pense que les majors n'ont absolument rien compris au phénomène mp3. Le piratage a très certainement des effets sur la vente de disques, mais les gens n'arrêtent pas d'acheter les disques des artistes qu'ils aiment vraiment, ou en profitent pour aller à plus de concerts. Les morceaux qu'ils téléchargent sont; dans au moins 90% des cas, des disques qu'ils n'auraient jamais payé. Cela leur permet également de découvrir de nouveaux artistes, d'écouter des styles de musique différents, et en tous cas - ce qui devrait plaire aux majors - renforcer encore l' "ambiance musicale" dans laquelle nous baignons tous à chaque instant, et donc la consommation de musique.
En fait, les maisons de disque ont tardé à comprendre le phénomène mp3 chez les jeunes - et ne le comprennent toujours pas d'ailleurs, sont passées à côté et ont réagi tardivement et donc brutalement.
Sur le principe maintenant, il y a également à redire. Les maisons de disque cherchent évidemment, à travers cette "charte" et la lutte contre le piratage, à préserver leurs bénéfices et leur cartel sur ce marché. De la part d'une entreprise, c'est plutôt logique. Ce qui est moins logique, c'est que l'Etat intervienne directement. Si l'on reprend les arguments et la logique des libéraux purs et durs, "le marché régule tout", et l'Etat n'a donc pas à intervenir. Dans ce cas précis, le marché est profondément modifié par une innovation technologique, susceptible de remettre en cause leur position sur leur marché. Dommage pour elles, mais si l'Etat n'était pas intervenu, on pourrait imaginer que les FAI se seraient accaparé l'essentiel des revenus de la musique, via les abonnements d'accès à Internet, et que les auteurs auraient fini par trouver d'autres formes de revenu : exclusivité avec des FAI, concerts plus fréquents, etc. Les radios continuant à verser des droits, on peut estimer que leur survie comme l'éclosion de nouveaux artistes n'aurait pas été réellement menacée. Pour les "bons" en tous cas, la Star Academy aurait sans doute eu plus de mal...
Mais cette remise en cause fondamentale ne plaisait évidemment pas aux majors et à leurs patrons, dont on peut pourtant supposer la sensibilité (ultra?) libérale, et qui ne se privent pas pour réclamer une baisse de la TVA sur le disque, hurler contre les quotas de musique française à la radio, et toutes les charges diverses dont l'Etat les accable.
Mais heureusement, dans les moments difficiles, l'Etat est là.